Contexte historique : une Algérie sous domination coloniale
En 1945, l’Algérie est un territoire sous domination française depuis plus d’un siècle. Intégrée administrativement à la République française, elle reste profondément marquée par une organisation inégalitaire entre colons européens (les « pieds-noirs ») et population autochtone musulmane. Alors que la Seconde Guerre mondiale touche à sa fin, les aspirations à l’autodétermination se réveillent dans l’ensemble des colonies françaises, et l’Algérie ne fait pas exception.
La participation des soldats musulmans à la guerre, aux côtés des troupes françaises, a renforcé les revendications politiques et sociales. En parallèle, les promesses de réformes démocratiques du général de Gaulle nourrissent l’espoir chez les nationalistes algériens. C’est dans ce contexte tendu que vont se déclencher les émeutes de mai 1945, symbolisées par les évènements tragiques de Sétif, Guelma et Kherrata.
Le 8 mai 1945 : entre victoire alliée et colère populaire
Le 8 mai 1945, la France célèbre la victoire des Alliés contre l’Allemagne nazie. À Sétif, ville située dans l’est algérien, une manifestation est organisée par le Parti du peuple algérien (PPA), un mouvement indépendantiste dirigé par Messali Hadj. Des milliers d’Algériens descendent dans les rues pour revendiquer des droits civiques, l’égalité et surtout l’indépendance politique de l’Algérie.
Le cortège, initialement autorisé, arbore des pancartes nationalistes, des drapeaux algériens et affiche des slogans comme « À bas le colonialisme », « Nous voulons notre indépendance ». La tension devient palpable lorsque la police tente d’empêcher le défilé. Des heurts éclatent. Un tir de la police déclenche une réaction violente : la foule se disperse, des émeutes éclatent et des colons européens sont attaqués. En quelques heures, plusieurs dizaines d’Européens sont tués dans la région de Sétif et Guelma.
La répression coloniale : un massacre prémédité ?
La réponse des autorités françaises est immédiate et d’une brutalité extrême. Le pouvoir colonial décrète l’état d’exception et mobilise l’armée, la gendarmerie et des milices civiles dans une opération de représailles d’envergure. Entre le 8 mai et le 22 mai 1945, ce sont plusieurs milliers d’Algériens qui sont massacrés dans ce que beaucoup qualifieront plus tard de massacre colonial d’État.
Les villes de Kherrata, Guelma et leur arrière-pays sont le théâtre d’exécutions sommaires, de bombardements aériens, de villages rasés, et même de déportations. L’armée française bombarde des zones rurales, tire sans distinction, et met en œuvre une logique d’extermination méthodique. Les estimations du nombre de victimes varient sensiblement :
- Officiellement, les chiffres avancés par les autorités de l’époque faisaient état de 1 165 Algériens tués.
- Selon des historiens postcoloniaux et des témoignages, le nombre réel de morts se situerait entre 15 000 et 45 000 victimes algériennes.
La répression est menée avec l’aval des plus hauts responsables coloniaux, parfois avec la participation active de colons armés qui exécutent eux-mêmes des prisonniers. Il s’agit de l’un des événements les plus sanglants de l’histoire coloniale française.
Impact des émeutes et du massacre de Sétif sur le nationalisme algérien
Les émeutes de mai 1945 en Algérie et la répression qui s’ensuit constituent un tournant majeur dans l’histoire de la lutte pour l’indépendance. Pour de nombreux militants nationalistes, ces évènements prouvent que la France n’accordera jamais volontairement leur autonomie aux Algériens. L’idée d’obtenir plus de droits par la négociation cède la place à celle d’un affrontement armé.
Dans les années qui suivent, plusieurs mouvements politiques se radicalisent. Le Front de libération nationale (FLN), fondé en 1954, s’appuiera sur la mémoire de Sétif pour justifier le recours à la lutte armée. En effet, le souvenir du massacre alimente l’idée que seule une guerre d’indépendance permettra d’échapper à l’emprise coloniale. Cette révolte marquera donc le chemin vers la guerre d’Algérie, déclenchée près de dix ans plus tard.
Interprétations historiques : entre mémoire et reconnaissance
Longtemps, les évènements de Sétif sont passés sous silence dans les ouvrages scolaires et dans les discours officiels en France. Ce n’est que dans les années 2000 qu’ils commencent à être véritablement reconnus pour ce qu’ils furent : une tragédie humaine, un massacre perpétré au nom de la répression coloniale.
En 2005, l’ambassadeur de France en Algérie parle pour la première fois de « tragédie inexcusable ». En 2015, à l’occasion du 70e anniversaire des évènements, un représentant français assiste pour la première fois commémorations à Sétif. Toutefois, aucune reconnaissance officielle ne qualifie encore ces faits de « crime contre l’humanité » ou de « massacre d’État », ce que réclament de nombreux historiens et associations de mémoire.
En Algérie, le massacre de Sétif est commémoré chaque 8 mai comme un symbole de la résistance nationale contre l’oppression coloniale. Des monuments, des témoignages, et même des musées y sont dédiés. Le récit reste profondément ancré dans la mémoire collective algérienne comme le début d’un long chemin vers la liberté.
Un sujet au cœur des enjeux mémoriels contemporains
Aujourd’hui, le massacre de Sétif fait partie intégrante du débat plus large sur la mémoire coloniale en France. Les questions autour de la responsabilité, du devoir de mémoire, ou de la reconnaissance officielle de la parole des victimes sont récurrentes dans les discussions politiques et universitaires.
Plusieurs historiens, chercheurs et écrivains ont publié des ouvrages à ce sujet, témoignant d’une volonté d’éclairer les zones d’ombre de l’histoire coloniale française. Il est courant de retrouver des titres comme :
- « Sétif 1945 : Histoire d’un massacre annoncé »
- « 8 mai 1945 : Le printemps algérien écrasé »
- « Mémoire algérienne : la bataille du souvenir »
Ces publications, très recherchées par les passionnés d’histoire ou les enseignants, figurent régulièrement dans les meilleures ventes consacrées à la décolonisation. Pour les amateurs désireux d’approfondir, ces ouvrages se trouvent dans toutes les librairies spécialisées ou en ligne sur des plateformes comme Amazon ou la Fnac.
Pourquoi les émeutes de Sétif restent un symbole fort de la décolonisation
Les émeutes de Sétif de 1945 et les massacres qui les ont suivies incarnent un moment charnière dans la rupture entre la France et son empire colonial, notamment en Afrique du Nord. Elles traduisent la fin de l’illusion d’un empire bienveillant, et le début d’un conflit inévitable entre colonisateurs et colonisés.
Ce moment historique continue d’interroger notre rapport au passé, à la justice historique et à la manière dont les sociétés postcoloniales construisent leur identité nationale. La mémoire de Sétif reste vive, à la fois comme un symbole de répression impitoyable et comme une étincelle de résistance qui mènera à l’indépendance algérienne en 1962.